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IMAGES DE LA VIE

— Tu sais, j’ai donné le manteau vert à Florence. Ça lui a fait bien plaisir.

— J’espère que tu le lui as donné pour de bon parce que je n’ai pas l’intention d’aller le lui réclamer comme j’ai dû faire lorsque tu l’avais donné à la servante, répondit M. Demers un peu agacé.

Ce fut là le commencement d’une scène comme il s’en produisait souvent dans le ménage Demers.

La jeune veuve qui était de l’autre côté de la cloison en entendit de belles et fut fort édifiée. Elle fut tellement humiliée cependant d’apprendre que son amie lui avait donné un manteau dont elle avait une première fois fait cadeau à sa servante que, de retour à la ville, elle retourna le vêtement sans donner aucune explication. L’autre toutefois se rendit compte de ses motifs et de sa manière d’agir.

Alors, cette semaine-là, comme la femme de peine qui faisait son ménage chaque samedi était à la maison et se répandait en doléances sur la misère qu’elle éprouvait à joindre les deux bouts, à payer le logement, la nourriture et le vêtement pour elle-même et sa fille, Mme Demers s’informa :

— Quel âge a-t-elle votre fille ?

— Quatorze ans, madame, mais elle est bien prise, grande et grosse comme une femme.

— Oui, hé bien, je vais vous donner un manteau pour elle. Il est presque neuf et, avec du soin, il pourra lui durer une couple d’années.

Alors, le soir, à la maison :

Mme Demers m’a donné un manteau pour toi, déclara la femme de peine à sa fille, en déficelant le colis.

La fillette de quatorze ans, prit le manteau du bout des doigts comme s’il eut été d’une saleté repoussante ou rempli de vermine et le regarda avec dédain.