Page:Laberge - Images de la vie, 1952.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
IMAGES DE LA VIE

s’installa à l’auberge. Ça faisait plus d’une semaine qu’il était là, ne se souciant plus de rien. Son linge était sale et il avait une tête hirsute et une barbe de huit jours. Il buvait…

Un soir donc qu’il vidait des bouteilles de bière avec ses copains, l’un de ceux-ci, Firmin Lafrance, faisant allusion aux racontars au sujet de la neuvaine, demanda en badinant :

— Vas-tu lâcher la boisson ou vas-tu déménager au cimetière ?

Un moment, Martial resta silencieux, puis prenant son verre il avala la liqueur mousseuse. Tournant ensuite ses regards à la ronde et envisageant tour à tour chacun de ses camarades, il parla ainsi :

— Écoutez, mes vieux, je ne sais pas ce qui va arriver, mais si je meurs, il faudra que vous veniez vider quelques bouteilles de bière près de ma tombe. Ça me ferait plaisir si vous pensiez à moi et si vous vous réunissiez joyeusement comme on fait ce soir.

— Bien certain, Martial, si tu meurs, on ira au cimetière boire une caisse de bière à ta mémoire.

— C’est promis, hein ? Ben, vous êtes de vrais amis.

— Moi, je te le promets et tu sais que je tiens ma parole, déclara Firmin Lafrance.

— Moi aussi.

— Moi aussi.

— Moi aussi.

Tous les copains promettaient.

Quelques heures plus tard, ils retournèrent chez eux, mais Martial resta là où il se trouvait. Le lendemain matin, il était très malade. Quelques moments avant de perdre connaissance, s’adressant à son fidèle ami Ephrem Rouillard, qui était revenu et se tenait à côté de son lit : Écoute, dit-il, lorsque je serai mort, je veux que ce soit toi qui me fasse la barbe. Je ne veux personne d’autre.

Il mourut vers le soir. Et le médecin déclara qu’il s’était empoisonné. On transporta le cadavre à sa demeure où les deux sœurs éplorées, en larmes, étaient maintenant inconsolables de voir que leurs prières avaient été exaucées. Tel