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IMAGES DE LA VIE

précaution de l’enfermer à clé dans sa chambre. Mais alors qu’elles le croyaient endormi ou reposant paisiblement et se remettant des effets de sa saoulerie, il se levait sans bruit, ouvrait la fenêtre et se sauvait à l’auberge. Bien affligées, les pauvres femmes envoyaient de nouveau Ephrem Rouillard chercher le pitoyable garçon. Et ce qu’il y avait de triste, c’est qu’il dépensait son argent, ruinait sa santé et jetait le déshonneur sur sa famille.

Parfois, Martial pensait à la belle grosse blonde qui menait une vie bien dévergondée. Certains soirs, il allait la rencontrer dans la vieille écurie où elle était née et où sa mère avait vécu toute sa vie. En échange de quelques complaisances, elle lui arrachait dix ou vingt piastres, tout ce qu’elle pouvait obtenir. Par moments, la fille s’éclipsait, allait faire des séjours à la ville, restait même des mois sans revenir. Ses deux enfants lui étaient venus d’aventures à droite et à gauche. Nombreuses sont les filles qui, lorsqu’elles sont dans un état gênant, prennent les moyens pour sortir d’embarras. Pas Emma Giroux. Elle ne courait pas les pharmacies pour obtenir des drogues infanticides. Simplement, elle laissait faire la nature tout comme si elle avait été mariée. Certes, elle plaisait fort à Martial et il l’aurait peut-être épousée autrefois en dépit de son inconduite notoire, mais la menace de son père l’avait quelque peu refroidi et maintenant, il était pris par la passion de l’alcool. Il continuait de boire et de jouer aux cartes. Ses deux soeurs étaient bien découragées de son inconduite. Elles prévoyaient que son état irait toujours en empirant, qu’il ne tarderait pas à se faire enlever sa terre, la terre qui venait de son grand-père et elles déclaraient que pour sûr, cela finirait mal. Après avoir longuement discuté de la chose, elles commençèrent une neuvaine, demandant au ciel que Martial renonçât à la boisson ou qu’il mourût. Chaque soir, elles s’agenouillaient dans leur triste demeure et suppliaient Dieu et ses saints d’exaucer leur demande. La chose s’ébruita et vint aux oreilles du garçon. Il se rendit compte qu’il était un embarras pour les siens et cela le rendit amer, d’autant plus que la grosse blonde était une fois de plus partie pour la ville et ne revenait pas. De nouveau, il