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IMAGES DE LA VIE

dormait, puis éveillé, se remettait à ingurgiter des verres de bière. Il lui arrivait comme ça de passer une semaine entière à fêtailler, sans retourner à la maison paternelle.

Son père était au désespoir et ne savait quelle mesure prendre pour le ramener dans la bonne voie. Il avait éloigné son fils d’un danger mais seulement pour le faire tomber dans un autre au moins aussi grand. Que les problèmes de la famille sont donc difficiles à régler ! Parfois, sa pensée retournait en arrière, à l’enfance de Martial. À cette époque, il songeait à ce qu’il ferait plus tard ; en attendant, il travaillait pour lui, il espérait que sa tâche serait plus facile que celle qui avait été la sienne. Ah oui, les pères s’efforcent de rendre la vie de leurs enfants plus belle et moins dure que la leur. Mais souvent, ils ont de cruels désappointements. Pour sûr, il en savait quelque chose. Parfois, il était heureux que sa femme fût partie jeune. Certes, elle aurait pleuré toutes les larmes de son corps si elle avait été témoin de l’inconduite de leur fils. Il pensait aussi à ses deux filles, Thérèse et Clara, qui se tracassaient fort au sujet de Martial. Elles s’affligeaient non seulement pour lui mais aussi pour elles-mêmes car elles s’imaginaient que les égarements de leur frère éloigneraient les jeunes gens, les empêcheraient de se marier.

Le vieux dormait très mal. Il passait des heures à se tourner et à se retourner dans son lit sans pouvoir trouver le sommeil. Par moments, le cœur lui battait très fort. Un soir, on le trouva mort dans sa chambre.

Le décès de son père ne changea en rien les habitudes du garçon. Comme auparavant, il passait ses soirées et parfois des journées à l’auberge. On aurait dit qu’il voulait s’évader de lui-même, se fuir. Il négligeait ses travaux et c’était bien attristant de voir ses récoltes se perdre sur le champ au lieu d’être engrangées. Et de le voir boire et gaspiller son argent à jouer aux cartes, cela aussi c’était bien regrettable.

Certains jours, au cours d’absences prolongées ses deux sœurs envoyaient Ephrem Rouillard, son ami intime, à sa recherche. Le copain le ramenait souvent très malade. Fidèles à leur devoir, Thérèse et Clara le couchaient dans son lit, lui prodiguaient tous les soins possibles mais avaient toutefois la