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MASQUE TRAGIQUE


Louise Lefebvre travaillait depuis deux mois à l’usine de munitions lorsqu’elle fit la connaissance de Charles Lebeau, chauffeur de camion au même établissement. Bien qu’il n’eût rien d’un artiste de cinéma, tout de suite il lui plut. Et dès qu’ils eurent causé quelques minutes, lui-même se trouva charmé. L’histoire de tous les jours, celle de tous les jeunes gens. Il y avait cependant cela que Louise qui avait maintenant vingt-deux ans était depuis quatre ans la maîtresse d’un homme marié, de douze ans plus vieux qu’elle et qui l’aimait d’un amour profond, d’un amour du cœur et des sens. Après quelques entrevues avec le chauffeur Lebeau, Louise sentit se briser les liens qui l’attachaient à son ancien ami. À cette heure, elle voyait la différence d’âge qui existait entre eux et elle se sentait invinciblement attirée vers le garçon dont elle venait de faire la connaissance. Celui-ci était entré en vainqueur dans sa vie. Sa jeunesse avait aboli le passé. Alors, comme elle s’était donnée un soir il y avait quatre ans, elle se reprit. À l’homme de trente-quatre ans qui, le premier, avait fait vibrer sa chair, elle déclara franchement qu’elle avait cessé de l’aimer, qu’il n’y avait pas de sa faute et que son cœur allait à un autre homme. En entendant cette déclaration si inattendue, l’amant devint blême et resta tout saisi. Il comprit que c’était fatal, que cela devait arriver un jour et qu’il perdait celle qui était la joie de sa vie. Tout de suite, il se rendit compte qu’il n’y avait rien à dire, rien à faire, que la résolution de la fille de l’abandonner était irrévocable et que dorénavant, il allait se trouver seul avec sa douleur et son désespoir. Après un bref échange de phrases, l’homme sortit tristement de la chambre où il avait connu des heures d’extase, des heures d’une félicité indicible.