Page:Laberge - Images de la vie, 1952.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
IMAGES DE LA VIE

vingt-sept ans. Oui, je vieillirais, je pouvais tomber malade, je pouvais perdre mon emploi. Tout cela était vrai, si vrai. Et l’argent, lui, qui ne vieillit jamais qui reste toujours jeune et fort, qui n’est jamais malade. Quelle autre éclatante vérité !

Donc, au lieu de gaspiller l’argent, au lieu de le dépenser à tort, il fallait l’économiser, le faire travailler en prévision des jours où je serais vieux, en prévision du cas où je tomberais malade, où je perdrais ma position.

Je relisais l’annonce et mon cerveau me semblait déborder de ces grandes vérités si simples mais si fortement exprimées.

Quelle belle annonce ! Quel beau sermon laïque !

Mais là encore, comme ailleurs, il fallait séparer le bon grain de l’ivraie.

L’ivraie, c’était l’appel au public d’envoyer son argent à un étranger pour être risqué, déclarait-on, sur des courses. Cette invitation n’était évidemment qu’un attrape-nigauds, qu’un piège à gogos, mais les lignes à propos de l’homme qui vieillit et de l’argent qui reste toujours jeune, qui travaille sans relâche, c’était le bon grain, c’était le pur froment. Ces vérités ne tombèrent pas dans de sourdes oreilles et, le samedi suivant, sur mon mince salaire, je pris deux dollars pour m’ouvrir un compte de banque. J’y ai ajouté depuis presque chaque samedi pendant les années que j’ai été au journal et je l’ai encore aujourd’hui. Et c’est cet « argent qui reste toujours jeune, qui n’est jamais malade », qui me permet, sur mes vieux jours, de prendre quelques années de repos.

Souvent, lorsque je déjeune en paix devant la rivière miroitante au soleil, dans ma petite maison de campagne, ou lorsque je cultive mes rosiers dans mon jardin, j’ai une pensée de reconnaissance pour l’auteur de cette annonce qui, par les vérités qu’il y énonçait, a orienté ma vie et m’a permis d’acquérir l’indépendance.

Celui qui invitait dans un journal de Chicago les gens à lui envoyer leur argent pour le risquer pour eux sur les courses, je ne l’ai évidemment jamais connu, j’ignore son nom, je ne sais s’il vit encore ou s’il est mort, mais je souhaite que cet homme qui était pénétré de vérités si importantes et