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HISTOIRE POUR FAIRE PLEURER


Ils Étaient deux coquefredouilles, deux pauvres diables d’employés chargés de famille qui n’avaient pas de l’argent plein leur poche et qui songeaient sans enthousiasme à leurs prochaines vacances.

— Ah, si j’avais une belle automobile ! je sais bien ce que je ferais, soupira Gauthier.

— Je me contenterais d’un vieux bazou, si je pouvais acheter de l’essence, répliqua Dubeau.

— Si j’avais une maison de campagne…

— Ou un camp dans les montagnes !

— Ah, pouvoir s’offrir une semaine au bord de la mer, s’étendre sur le sable fin, admirer les baigneuses…

Alors, après avoir énuméré ce qu’ils n’avaient pas, ils revinrent à la triste réalité.

— Où allez-vous aller ? interrogea Dubeau.

— Oh, à Balconville. Il n’y a pas d’autre place pour moi, répondit Gauthier.

— À Balconville ? Je ne connais pas.

— Oui, autrement dit sur mon balcon. Je passerai l’avant-midi assis là et l’après-midi, je dormirai. Et vous ?

— Moi, je vais aller voir des parents à Sainte-Rose. Au bout de trois jours j’en aurai assez de les voir et eux seront fameusement contents de me voir partir.

Mais, assis sur son balcon, au troisième, et histoire de se rafraîchir, de se désaltérer, Gauthier but quelques bouteilles de bière, s’endormit, tomba de sa loge et se brisa le crâne sur le pavé.

Dubeau lui, s’acheta un costume de bain, des souliers de toile et, comme il l’avait dit, s’en alla visiter un cousin à Sainte-Rose. Là, il s’embêtait royalement et il ennuyait fort