hissaient, s’il glissait dans le puits, il était perdu. Aucune chance de se réchapper, aucune chance de salut. Sous lui, au moins quinze pieds d’eau. La mort était là tout près. Ses doigts engourdis, à bout de force, glissaient lentement sur la planche mouillée. Là à travers champs, l’engagé était lancé dans une course éperdue. Deux secondes, peut-être et le garçon serait englouti dans le puits. Ses doigts glissaient, glissaient. Deux secondes, peut-être moins, et c’en était fait de lui. Soudain, deux mains vigoureuses le saisirent aux poignets et d’un rude effort, le sortirent de la bouche du puits. Sauvé, il était sauvé.
Ce garçon qui a vu la mort de si près, c’est moi. Il y a de cela, soixante-quinze ans. Et pensant à cette heure tragique, je vois tout ce que j’aurais manqué si l’on ne s’était porté à mon secours. Si j’avais trouvé la mort dans le puits d’une lointaine campagne, je n’aurais pas connu la grande joie d’écrire des livres, je n’aurais pas connu la satisfaction de gagner le pain quotidien de ma famille, je n’aurais pas connu les extases que m’a données mon coin de terre fleuri de Châteauguay, j’aurais ignoré les ivresses que donne la lecture des œuvres des grands écrivains, je n’aurais pas vibré d’enthousiasme devant les toiles des maîtres de l’art, je n’aurais pas fait les beaux voyages qui ont enchanté mon imagination et contemplé les paysages de différents pays, je n’aurais pas rencontré ces esprits d’élite avec lesquels je me suis lié d’amitié, je n’aurais pas connu la douce et chère compagne dont le sourire et l’affection ont illuminé tant d’années de ma vie.
Réellement, le destin m’a bien servi.