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Fin de septembre


Un cousin est mort il y a deux jours et on le conduit en terre ce matin. D’après les usages et les convenances, je devrais suivre le cortège et assister avec tous les parents au service religieux à l’église. Mais je me dis que je ne l’ai vu que deux fois en cinquante ans, qu’il est pour ainsi dire un parfait étranger et je ne vois aucune obligation de me déplacer simplement pour faire acte de présence. D’ailleurs, le défunt s’en ira bien sans moi à son lieu de repos. Alors, après le déjeuner, je prends mon râteau, je ramasse les feuilles mortes qui jonchent la pelouse et je les entasse au bord de la rivière. C’est un excellent et agréable exercice et je m’y adonne pendant deux heures. Lorsque j’ai fini ma tâche, je fais flamber une allumette et mets le feu à l’amoncellement.

Le ciel est d’un bleu admirable parsemé de gros nuages blancs aux formes fantastiques. La rivière est chatoyante au soleil et une grande paix enveloppe la campagne. Les flammes montent claires, joyeuses semble-t-il, et s’élèvent capricieusement dans l’air. Assis sur le gazon, les jambes étendues et appuyé sur un coude, je contemple les volutes de la fumée qui s’élève au-dessus des arbres et de la rivière et va se perdre dans l’espace. Je respire la bonne senteur des feuilles mortes qui semblent se consumer avec allégresse, se changer en flammes légères, vivantes, qui dansent avec ivresse dans ce glorieux matin de septembre. C’est là leur adieu à la vie.

En imagination, j’entends le glas des cloches à l’église, je vois la nef tendue de noir, le prêtre vêtu de sa chasuble de deuil, le groupe des parents et des connaissances qui s’agenouillent, se lèvent et s’assoient automatiquement en égrenant leur chapelet.