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Vieilles lettres


Elles remplissaient une boîte. Les premières remontaient à près de soixante ans, les dernières à plus de quarante. C’était de chères reliques qui reposaient au fond d’une malle. Depuis quelques jours, je vois tomber les feuilles mortes. Je les brûlerai au bord de la rivière. Les lettres auront le même sort. C’est le passé. Elles doivent disparaître comme je disparaîtrai bientôt moi-même.

J’en prends un lot d’environ deux cents qui représentent ma vie sentimentale pendant une période de quatre ans. Chacune d’elles m’a apporté le message d’une affection sincère, profonde, une affection douce, tranquille et sûre. Elles témoignaient d’un attachement que rien ne pourrait briser. Pas de phrases. C’était un cœur simple qui parlait, qui faisait le don de lui-même. Avant d’y mettre le feu, avant de détruire ces pages, je n’ose pas les relire car je sais qu’à chacune d’elles j’éprouverais la même émotion que je ressentais en les recevant, en les ouvrant, en parcourant les premières lignes. Ce serait trop pour moi. Elles se consument et à les voir s’envoler en fumée, je ressens la même douleur, le même déchirement que lorsque j’ai appris la mort de celle qui les avait écrites. Quatre années de tendresse évanouies. Adieu.

Voici les premières en date, moins de vingt. La plupart portent le timbre de pays étrangers. Ce n’est pas l’amour, simplement la camaraderie, l’amitié qui tend à devenir un sentiment plus tendre, des phrases timides qui voudraient dire plus qu’elles n’osent. La distance, l’éloignement sont cause que les choses en sont resté là. Des océans nous séparent. Le silence s’est fait. J’ignore tout de sa vie. Probablement qu’elle m’a oublié depuis longtemps, mais moi, je me souviens d’elle.