Le pommier
Amputé, mutilé, éborgné et malade, le vieux pommier qui se dresse en face de la rivière se couvre néanmoins chaque printemps d’une odorante floraison blanche et rose. En me levant, le matin, je vais m’asseoir sur les marches du perron et là, dans l’air tiède, lumineux, je me grise de la beauté des fleurs du vieil arbre. À le contempler, dominant l’eau miroitante, je me sens infiniment heureux. C’est là le dernier survivant du verger planté par l’aïeul mort il y a tant d’années.
Depuis longtemps, le vieux pommier est miné par la maladie. Au cours de l’été, ses feuilles brunissent et sèchent, des branches meurent et je dois les enlever. Il porte de nombreuses cicatrices, résultat de ses multiples amputations. Malgré tout, il produit encore des fruits, de belles grosses pommes rouges, tentantes, appétissantes, qui luisent au soleil. Ce n’est qu’une trompeuse apparence, car si l’on y mord, l’on rejette vivement ce que l’on vient de croquer. L’arbre est malade et son fruit si capiteux à l’œil est amer, absolument immangeable. Je ne suis pas exigeant cependant, et tout ce que je demande au vieux pommier planté par le grand’père qui repose dans le petit cimetière, c’est de charmer mes yeux de son odorante floraison blanche et rose.