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fin de roman

un léger repas. Elle savait qu’il lui fallait ménager ses forces, limiter ses activités au minimum et alors, elle restait de longues heures dans sa chaise, sans bouger. Lorsque son mari arrivait par le train de six heures, l’homme et la femme soupaient de conserves que celle-ci apprêtait en cinq minutes. Le repas terminé, M. Frigon prenait sa tondeuse et se mettait à raser le gazon de la pelouse. Il travaillait posément, lentement, sans jamais se hâter. Le bruit monotone de sa mécanique informait les voisins qu’il prenait son exercice quotidien. Son petit canot rouge qu’il avait monté sur la côte l’automne précédent et avait mis à l’envers à côté de la clôture était encore au même endroit. M. Frigon paraissait avoir renoncé au canotage.

Chaque jour, après le départ de son mari, Mme Frigon s’installait au soleil dans sa chaise longue et elle passait là les longues heures de la journée. Elle était malade, elle était tuberculeuse et elle savait que si elle voulait vivre, il lui fallait éviter toute besogne, tout effort. Alors, elle se rattachait désespérément à la vie et elle demeurait étendue dans sa chaise longue.

Certes, il y a des vies plus mouvementées, plus excitantes que celle-là, mais il faut prendre ce que l’on a et elle subissait patiemment sa destinée. À certaines heures, elle se disait qu’elle aurait aimé à avoir des enfants, mais le médecin l’avait prévenue que la maternité lui serait fatale. Alors, elle en avait fait son sacrifice.

Il y avait maintenant près de huit ans que M. et Mme Frigon étaient mariés. Il n’y avait jamais eu de grand amour ni d’ardente passion dans leur vie. Tout simplement, ils étaient deux compagnons qui faisaient ensemble le voyage terrestre. Certes, ce n’était pas une aventure excitante, mais ils ne voulaient pas d’une existence comme celles que