Page:Laberge - Fin de roman, 1951.djvu/273

Cette page a été validée par deux contributeurs.
265
fin de roman

À 6 h.40, la sonnette se fait entendre. Thérèse va ouvrir à son frère. Ce n’est pas lui. C’est la fillette de la voisine qui vient demander si Mme Désiez ne pourrait lui prêter une assiette en fer-blanc pour faire cuire une tarte. Tout en bougonnant et en « bardassant » dans son armoire de cuisine pour trouver le plat demandé, elle se dit que les gens qui veulent se faire une tarte pourraient bien s’acheter une assiette en fer-blanc. Comme la fillette vient de sortir, la sonnette résonne de nouveau. Cette fois, c’est le curé. D’une voix fatiguée, ennuyée, il souhaite le bonsoir et regarde la famille à table. La sœur lui indique sa place. Il s’assied en silence.

— Vas-tu prendre de la soupe ? demande Mme Désiez.

Il hésite un moment.

— Donne m’en un peu, répond-il enfin.

À lentes cuillérées, sans mot dire, il vide son assiette. Pour sûr qu’il voudrait être ailleurs. Sa sœur et son beau-frère qui ont terminé leur repas l’observent avec des regards hostiles. Non, ils ne l’aiment pas d’amour tendre. Ça se voit. Lui, il n’est pas de bonne humeur non plus et il le sait ; il sait aussi pourquoi. Depuis trois ans, il souffre du foie. Ça, c’est une maladie agaçante. Il ne se plaint pas, mais il ressent les douleurs quand même. L’autre soir, à la réunion de famille, alors qu’on s’est régalé d’une dinde de douze livres, il a mangé trop fort, il a succombé à son amour de la bonne chère. Mais ces abus là, ça se paie. Ce matin, il était à moitié aveugle et toute la journée, il a éprouvé des douleurs lancinantes. Et cela l’inquiète. Alors, ce soir, il mange deux bouts de saucisse avec une pomme de terre et un peu de macaroni. Il avale sa tasse de thé et repousse son assiette. Il a fini.