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fin de roman

Et devant les figures surprises de ses amis, elle expliqua : Je me suis déjà trop attardée. Certes, je me plais ici. J’ai vécu près de vous des moments inoubliables, mais je dois me remettre à la tâche. L’autre jour, lorsque je suis passée avec vous devant le monastère et que vous m’avez expliqué ce qu’était une retraite fermée, je me suis dit que c’était justement ce que je faisais ici. Je suis sûre que cette retraite portera ses fruits et me sera d’un grand bénéfice dans l’avenir.

— Sûrement que nous vous regretterons, déclara Mme Lantier.

— Je sais que j’ai abusé de votre bienveillance, mais je goûtais tellement ces jours de paix et de repos que je ne parvenais pas à me décider à retourner à la ville. Nous sommes tellement pressées, bousculées, écrasées, continua-t-elle, que nous ne pouvons pas vivre notre vie. Constamment, nous sommes obligées de nous protéger, de nous défendre, de nous garer de chacun et de tous. Chacun fonce, vous attaque, vous broie, vous piétine si vous ne faites de même. Chaque jour, c’est une lutte féroce et naturellement, nous recevons des coups, nous tombons dans des embûches. Ah ! la vie dans une grande ville…

Elle songeait à ce lointain voyage, à cette croisière dans un grand navire blanc, sur la mer bleue, alors que chaque jour, M. Lantier lui répétait avec une ardente conviction : La vie est belle. Non, elle ne l’avait pas été pour elle qui avait vécu tant de drames, qui avait été meurtrie par tant d’épreuves, qui avait été si durement accablée par les coups du destin. Étrange, la fatalité semblait l’avoir prise par la main et l’avoir poussée sur des écueils où elle avait failli sombrer.