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fin de roman

bien une demi-heure que notre chaloupe glissait doucement sur le lac, dans l’air frais de la campagne, lorsqu’un puissent canot-automobile qui filait à une grande vitesse exécuta un virage en passant près de nous. Cette stupide manœuvre produisit plusieurs fortes vagues qui firent chavirer notre chaloupe précipitant ses cinq occupants à l’eau. Aucun de nous ne savait nager et tous coulèrent à pic. Une couple de jeunes gens qui étaient dans les environs en canot et qui avaient été témoins de l’accident accoururent et plongèrent pour repêcher les malheureux. Je fus la seule qu’ils réussirent à sauver, à ramener vivante au rivage. Mon père, ma mère, mon frère, ma sœur étaient noyés. J’avais quinze ans à ce moment, mais je compris que si j’avais été épargnée, c’est que le Seigneur avait des vues sur moi et qu’il voulait que je lui consacre la vie qu’il m’avait conservée. Comme je n’avais plus de parents, mon grand-père me recueillit et un an plus tard, j’entrais en religion・ Il y en a qui hésitent, qui vacillent. Moi, le chemin m’était tout indiqué.

— Quelle tragique histoire vous me racontez là, fit Irene Dolbrook. Après une pause, elle reprit :

— Mais alors, votre vie est un renoncement complet à toutes les aspirations humaines, un abandon total à la divinité, jamais une joie, jamais une satisfaction ?

— Jamais une joie ? Mais la prière, les entretiens avec le Créateur infiniment bon, n’est-ce pas la plus grande joie possible ?

— Oui ? Mais lorsque vous priez, que demandez-vous à Dieu ?

— Je ne lui demande rien en particulier. Je me remets entre ses mains. Je lui dis de m’accorder ce qu’il juge qui sera le plus avantageux pour moi, pour mon salut. Il