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fin de roman

de le retrouver. Je m’efforçai de l’atteindre par téléphone pour nous entendre pour faire ensemble le voyage par train à Montréal où nous devions prendre le bateau, mais je ne pus le rejoindre. Je partis donc seule de New York convaincue que je le trouverais sur le quai au moment du départ du navire. Là, je l’attendis d’abord avec confiance, puis nerveusement comme le temps passait et enfin, avec désespoir lorsque s’écoulèrent les dernières minutes. J’attendis le coup de sifflet du steamer pour monter à bord, espérant toujours voir apparaître le retardataire. Finalement, je me rendis à l’évidence et compris que j’avais été trompée comme tant d’autres pauvres filles trop confiantes et trop amoureuses l’avaient été avant moi. Vous savez le reste, car vous m’avez vue à ces heures douloureuses de ma vie. Votre généreuse sympathie m’a adouci la cruelle épreuve que je traversais et m’a réconfortée. Si je ne vous avais pas rencontrés, je me serais peut-être jetée à la mer.

La première chose que j’appris à mon retour à New York fut que celui dont j’avais espéré faire mon mari était en voyage de noces. Il s’était marié pendant mon absence. Je n’avais que moi à blâmer car en lui cédant, je n’avais écouté que mes sentiments et mon instinct. Il est certain que l’autre avait été plus sage, plus avisée. Évidemment, elle lui avait tenu la dragée haute et avait conduit son ardent admirateur au mariage. Jamais auparavant je n’avais soupçonné la duplicité de ce garçon. Il me courtisait dans l’intention évidente de me conquérir et de me posséder. Naïvement, à vingt-deux ans, je m’étais laissée prendre comme une fillette de quinze ou seize ans. Pendant six mois, je fus toute pénétrée de rancœur et maudissant l’hypocrisie masculine.