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fin de roman

Méfiante, la tante jeta un coup d’œil par la fenêtre basse et aperçut le camion du voisin arrêté devant la maison.

Un nouvel appel de klaxon déchira la paix de ce matin de dimanche.

Une expression courroucée sur la figure, la tante darda ses regards sur sa nièce.

— Tu veux rire de moi, hein ? Mais tu sais, mon héritage, tu ne l’auras jamais !

Et ouvrant la porte, blême de colère, elle sortit et roide, sans les regarder, passa à côté du camion et du chauffeur et prit la route. Sa mince silhouette noire s’éloigna sur le chemin poussiéreux.

Disparition du radio

La tante avait reçu un affront bien difficile à avaler. Mais comme elle l’avait provoqué par son exigence intempestive, elle devait subir son sort. Toutefois, elle n’était pas au bout de ses épreuves, car Zélie poussée à bout, secouait le joug, se rebellait.

La tante Françoise était devenue une enragée de la radio. Dans son enfance et dans sa jeunesse on ne connaissait pas cela. C’est une invention moderne. Vrai, ils étaient bien à plaindre les gens d’autrefois. Aussi, aujourd’hui, la tante s’efforce de reprendre le temps perdu. Aussitôt le déjeuner terminé, elle ouvre l’appareil. Les romans-fleuves la passionnent et elle connaît tous les programmes. Ce qu’elle préfère cependant, c’est la liste, à la fin de l’après-midi, des morts de la journée dans la province, que l’annonceur lit avec le ton d’un curé débitant son prône le