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fin de roman

secret avait dû se produire qui les avait désunis. On aurait cru qu’il était un locataire, un parfait étranger. Chaque matin, le garçon de l’épicier descendait une caisse de bière dans son logement et il la vidait consciencieusement dans le courant de sa journée. C’était là sa principale, son unique occupation et comme il avait de l’argent, des moyens, il vivait sans aucun souci. Il se préparait lui-même son déjeuner et prenait ses deux autres repas au restaurant. Sa femme, indépendante de fortune, vivait de son côté comme si elle eût été veuve tandis que le garçon, âgé de vingt-deux ans et tuberculeux avancé, ne quittait jamais son étage. Il se nourrissait surtout de viande crue, saignante, de toniques et de fortifiants.

Luce dormait dans une petite chambre à l’étage de Mme Pelle. Une chambre à elle seule, c’était une nouveauté dans son existence. Une chambre avec un lit confortable dans lequel elle sommeillait toute la nuit sans être dérangée. C’était là un changement avec la maison paternelle où les enfants couchaient pêle-mêle sur des paillasses, tassés, presque empilés les uns sur les autres.

Vers cette époque, Luce commença à souffrir de furoncles. Elle en avait toujours deux ou trois dans le cou. Comme elle ne savait comment se traiter, il lui en poussait un nouveau avant même que son voisin fût guéri. Ces clous l’incommodaient fort.

C’était une maison silencieuse que celle des Pelle, une maison dans laquelle on n’entendait pas un éclat de rire en douze mois. Le fils était malade depuis des années et il allait constamment en s’affaiblissant. Il se savait perdu et se laissait aller. Depuis longtemps, il ne voulait pas recevoir de visiteurs, constamment absorbé dans de sombres