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PROJET D’UNE SOCIÉTÉ DE COLONISATION

DU DIOCÈSE DE MONTRÉAL.
POUR COLONISER LA VALLÉE DE L’OTTAWA
ET LE NORD DE CE DIOCÈSE.
[1]


Le mot coloniser est populaire dans la province de Québec. Il enflamme tous les cœurs, sourit à toutes les intelligences, exalte les sentiments du plus pur patriotisme et passionne certaines âmes jusqu’à l’héroïsme. « Coloniser, se dit-on, c’est la force, la richesse du pays. » En effet, l’admirable Fénélon a laissé tomber de sa plume éloquente ces lignes si frappantes de vérité, qui regardent la colonisation aussi bien que l’agriculture. « Une grande ville, dit le cygne de Cambrai, fort peuplée d’artisans occupés à amollir les mœurs par les délices de la vie, quand elle est entourée d’un royaume pauvre et mal cultivé, ressemble à un monstre dont la tête est d’une grosseur énorme, et dont tout le corps exténué et privé de nourriture n’a aucune proportion avec la tête. C’est le nombre du peuple et l’abondance des aliments qui fait la vraie force et la vraie richesse d’un royaume. »

Quand il s’agit de belles paroles pour la colonisation, il est facile de les trouver dans notre amour pour la patrie et la religion. Toutefois là ne doivent point se borner tous nos efforts. Il faut que ces nobles sentiments se produisent en œuvres solides et durables. C’est ici que commencent les grandes difficultés. Que faire pour réussir ? Comment intéresser tout le monde à cette œuvre nationale au point d’obtenir le concours de chacun même par une légère obole. Dire et faire, ce n’est pas la même chose. Unir la pratique à la théorie, voilà le nœud gordien de la question.

Néanmoins, rien de plus facile que de prouver notre sincérité à cette grande cause en nous mettant tous courageusement à l’œuvre. Le plus difficile est fait dans cette partie de la province. Le mouvement colonisateur est déjà créé, il grandit à chaque instant ; il enfante des prodiges ; tous ceux qui en sont les témoins ne peuvent s’en taire ; il ne faut plus que l’entretenir et le seconder par de légers sacrifices qui ne seront lourds pour personne et, dans quelques années, le résultat sera extraordinaire pour le commerce et la prospérité de Montréal, la paix et le bonheur d’une multitude de familles.

Ce sera un moyen puissant de porter remède à ce chancre de l’émigration qui nous dévore en éparpillant, dans les pays étrangers, les forces vives de la nation. Élever un enfant, en faire un homme dans la force du mot et perdre de suite le bénéfice de son intelligence et de son travail, au profit des pays étrangers, c’est un malheur que l’on ne saurait trop déplorer. Que nous a servi d’avoir fait de grandes dépenses pour amener au milieu de nous des émigrants, si, pour un qui s’y fixe, deux de nos citoyens quittent le sol natal ! Veut-on renouveler ici le malheur des Danaïdes ? Quand le tiers de la population irlandaise, pour fuir la misère, se répandait par tout l’univers, les nations étaient frappées de stupeur. Proportionnellement notre exode a été plus considérable. Avons-nous tous rempli notre devoir pour amoindrir un si grand mal ? Je ne le pense pas. Ne laissons donc pas à nos gouvernants le soin de tout faire, tâche qu’il leur est impossible d’accomplir, mais que chaque individu travaille efficacement, dans la mesure de ses moyens et dans sa sphère d’action, autant qu’il le pourra, à nous guérir de ce fléau qui décime notre province. La plus grosse part retombera encore sur le

  1. Montréal, 19 Mars 1879. Permis d’imprimer : † Édouard Chs., Évêque de Montréal.