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« Le Chant de la Paix »

Mais dans un effort suprême, elle parvint à maîtriser son émotion, et ce fut encore presque d’une voix calme qu’elle reprit :

— Vous m’aimez, dites-vous ? En êtes-vous bien sûr ? N’avez-vous pas été dupe de votre cœur ?… Non, vous ne pouvez pas m’aimer puisque je n’ai ni grâce ni beauté, je suis de celles qu’on regarde avec pitié, mais non pas avec amour, je suis indigne d’être aimée de vous… Cette idée ne m’a pas abandonnée un instant malgré tout ce que j’ai souffert, malgré tout ce que j’ai fait pour la chasser de mon esprit… Oh ! le doute, l’affreux doute, que de larmes il m’a fait verser !… Je sentais bien qu’il empoisonnait ma vie… Que pas un instant je ne goûterais le bonheur qu’apportent la confiance et l’espoir… Toute à mes tristes pensées, la vie m’apparut sans aucun attrait, il me semblait que tout m’abandonnait… Séparée de vous, je n’avais plus alors vos tendres paroles pour éloigner de mon esprit ces papillons noirs, et voilà pourquoi peu à peu le doute opérait en moi d’étranges choses. Oui, Jean ce cœur autrefois rempli de tendresse pour vous s’est refroidi lentement, votre image s’est effacé de ma pensée. Puis, un jour, je me rendis compte enfin qu’il ne restait plus rien de mon beau rêve d’autrefois ; le doute avait réussi à l’anéantir. Alors, à partir de ce moment, le dégoût de la vie s’accentua davantage en moi à tel point que je crus en devenir folle. Ma santé s’altéra, mais souffrant plutôt moralement, je m’inquiétais bien peu de mon mal physique. D’ailleurs qu’importait ma santé : ne valait-il pas mieux en finir avec cette misérable vie ! L’avenir était pour moi si sombre qu’il me semblait que c’était le seul remède à mon cœur torturé. Or, comme cela ne pouvait durer éternellement ainsi, ma jeunesse triompha et je recouvrai partiellement la santé… Mais le passé venait de mourir, emportant pour toujours l’amour que je croyais ancré à jamais au fond de mon cœur… Jean.