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ÉLÉGIES.



Qui ſineroit, quand i’aurois ce bon heur
De te reuoir : mais de la longue attente,
Helas, en vain mon deſir ſe lamente.
Cruel, Cruel, qui te faiſoit promettre
Ton brief retour en ta premiere lettre ?
As tu ſi peu de memoire de moy.
Que de m’auoir ſi tot rompu la foy ?
Comme oſe tu ainſi abuſer celle
Qui de tout tems t’a eſté ſi fidelle ?
Or’que tu es aupres de ce riuage
Du Pau cornu, peut eſtre ton courage
S’eſt embrasé d’une nouuelle flame,
En me changeant pour prendre une autre Dame :
là en oubli inconſtamment eſt miſe
La loyauté que tu m’auois promiſe.
S’il eſt ainſi, & que defia la foy
Et la bonté ſe retirent de toy :
Il ne me faut eſmerueiller ſi ores
Toute pitié tu as perdu encores.
Ô combien ha de penſee & de creinte,
Tout à par foy, l’ame d’Amour eſteinte !
Ores ie croy, vu notre amour paſſee,
Qu’impoſſible eſt, que tu m’aies laiſſee :
Et de nouuel ta foy ie me fiance.
Et plus qu’humeine eſtime ta confiance.
Tu es, peut eſtre, en chemin inconnu
Outre ton gré malade retenu.
Ie croy que non : car tant fuis coutumiere
De faire aus Dieus pour ta ſanté priere,