Page:Labé - Œuvres, t. 1-2, éd. Boy, 1887.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
ÉLÉGIES.



De mes regrets auec moy ſoupirez.
Poſſible, un iour ie ſeray le ſemblable,
Et ayderay votre voix pitoyable
À vos trauaus & peines raconter,
Au tems perdu vainement lamenter.
Quelque rigueur qui loge en votre cœur,
Amour s’en peut un iour rendre vainqueur.
Et plus aurez lui eſté ennemies,
Pis vous fera, vous ſentant aſſeruies.
N’eſtimez point que lon doiue blamer
Celles qu’a fait Cupidon enflamer.
Autres que nous, nonobſtant leur hauteſſe,
Ont enduré l’amoureuſe rudeſſe :
Leur cœur hautein, leur beauté, leur lignage,
Ne les ont ſu preſeruer du ſeruage
De dur Amour : les plus nobles eſprits
En ſont plus fort & plus ſoudain eſpris.
Semiramis, Royne tant renommee,
Qui mit en route auecques ſon armee
Les noirs ſquadrons des Éthiopiens,
Et en montrant louable exemple aus ſiens
Faiſoit couler de ſon furieus branc
Des ennemis les plus braues le ſang,
Ayant encor enuie de conquerre
Tous ſes voiſins, ou leur mener la guerre,
Trouua Amour, qui ſi fort la preſſa,
Qu’armes & loix veincue elle laiſſa.
Ne méritait ſa Royalle grandeur
Au moins auoir un moins faſcheus malheur