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DE FOLIE ET D’AMOVR.


d’arbres qui s’uniſſent enſemble. Contez moy toutes ſortes d’Antes, que jamais le Dieu des jardins inuenta. Si ne trouuerez vous point que deus hommes ſoient jamais deuenuz en un : & y ſoit le Gerion à trois corps tant que voudrez. Amour donq ne fut jamais ſans la compagnie de Folie : & ne le ſauroit jamais eſtre. Et quand il pourroit ce faire, ſi ne le deuroit pas ſouhaiter : pource que l’on ne tiendroit conte de lui a la fin. Car quel pouuoir auroit il, ou quel luſtre, s’il eſtoit pres de ſageſſe ? Elle lui diroit, qu’il ne faudroit aymer l’un plus que l’autre : ou pour le moins n’en faire ſemblant de peur de ſcandaliſer quelcun. Il ne faudroit rien faire plus pour l’un que pour l’autre : & ſeroit à la fin Amour ou aneanti, ou diuiſé en tant de pars, qu’il ſeroit bien foible. Tant ſ’en faut que tu doiues eſtre ſans Folie, Amour, que ſi tu es bien conſeillé, tu ne redemanderas plus tes yeus. Car il ne t’en eſt beſoin, & te peuuent nuire beaucoup : deſquels ſi tu t’eſtois bien regardé quelquefois, toymeſme te voudrois mal. Penſez vous qu’un ſoudart, qui va à l’aſſaut, penſe au foſſé, aus ennemis, & mile harquebuzades qui l’atendent ? non. Il n’a autre but, que paruenir au haut de la breſche : & n’imagine point le reſte. Le premier qui ſe mit en mer, n’imaginoit pas les dangers qui y ſont. Penſez vous que le joueur penſe jamais perdre ? Si ſont ils tous trois au hazard d’eſtre tuez, noyez, & deſtruiz. Mais quoy, ils ne voyent & ne veulent voir ce qui leur eſt dommageable. Le ſemblable eſtimez ; des Amans : que ſi jamais ils voyent, & entendent clerement le peril où ils ſont, com-