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DÉBAT


Poëtes amis, ont changé leurs paniers & coutures, en plumes & liures. Et certes il eſt impoſſible plaire, ſans ſuiure les afeccions de celui que nous cherchons. Les triſtes ſe fachent d’ouir chanter. Ceux, qui ne veulent aller que le pas, ne vont volontiers auec ceus qui touſiours voudroient courir. Or me dites, ſi ces mutacions contre notre naturel ne ſont vrayes folies, ou non exemptes d’icelle ? On dira qu’il ſe peut trouuer des complexions ſi ſemblables que l’Amant n’aura point de peine de ſe tranſformer es meurs de l’Aymee. Mais ſi cette amitié eſt tant douce & aiſee, la folie ſera de ſ’y plaire trop : en quoy eſt bien dificile de mettre ordre. Car ſi c’eſt vray amour, il eſt grand & vehement, & plus fort que toute raiſon. Et, comme le cheual ayant la bride ſur le col, ſe plonge ſi auant dedens cette douce amertume, qu’il ne penſe aus autres parties de l’ame, qui demeurent oiſiues : & par une repentance tardiue, apres un long tems, témoigne à ceus qui l’oyent, qu’il ha eſté fol comme les autres. Or ſi vous ne trouuez folie en Amour de ce côté là, dites moi entre vous autres Signeurs qui faites tant profeſſion d’Amour, ne confeſſez vous, que Amour cherche union de ſoy auec la choſe aymee ? qui eſt bien le plus fol deſir du monde : tant par ce, que le cas auenant, Amour faudroit par ſoy meſme, eſtant l’Amant & l’Aymé confonduz enſemble, que auſſi il eſt impoſſible qu’il puiſſe auenir, eſtant les eſpeces & choſes indiuidues tellement ſeparees l’une de l’autre, qu’elles ne ſe peuuent plus conjoindre, ſi elles ne changent de forme. Alleguez moy des brancheſ