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DE FOLIE ET D’AMOVR.


appellent foles celles qui ayment. Maudiſſent le jour que premierement elles aymerent. Proteſtent de iamais n’aymer : mais celà ne leur dure gueres. Elles remettent incontinent deuant les yeus ce qu’elles ont tant aymé. Si elles ont quelque enſeigne de lui, elles la baiſent, rebaiſent, ſement de larmes, ſ’en font un cheuet & oreiller, & s’eſcoutent elles meſmes pleingnantes leurs miſerables deſtreſſes. Combien en voy ie, qui ſe retirent iuſques aus Enfers, pour eſſaier ſi elles pourront, comme iadis Orphee, reuoquer leurs amours perdues ? Et en tous ces actes, quels traits trouuez vous que de Folie ? Auoir le cœur ſeparé de ſoymeſme, eſtre meintenant en paix, ores en guerre, ores en treues : couurir & cacher ſa douleur : changer viſage mile fois le jour ſentir le ſang qui lui rougit la face, y montant puis ſoudein s’enfuit, la laiſſant palle, ainſi que honte, eſperance, ou peur, nous gouuernent : chercher ce qui nous tourmente, feingnant le fuir. Et neanmoins auoir creinte de le trouuer : n’auoir qu’un petit ris entre mile ſoupirs : ſe tromper ſoymeſme : bruler de loin, geler de pres : un parler interrompu ; un ſilence venant tout à coup : ne ſont ce tous ſignes d’un homme aliené de ſon bon entendement ? Qui excuſera Hercule deuidant les pelotons d’Omphale ? Le ſage Roy Hebrieu auec cette grande multitude de femmes ? Annibal ſ’abatardiſſant autour d’une Dame ? & meins autres, que journellement voyons s’abuſer tellement qu’ils ne ſe connoiſſent eus meſmes. Qui en eſt cauſe, ſinon Folie ? Car c’eſt elle en ſomme, qui fait Amour grand & redouté : & le