Page:Labé - Œuvres, t. 1-2, éd. Boy, 1887.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
DÉBAT


touſiours quelque rencontre de ce qu’elles ayment. Elles prennent la plume & le lut en main : eſcriuent & chantent leurs paſſions : & en fin croit tant cette rage, qu’elles abandonnent quelquefois pere, mere, maris, enfans, & ſe retirent où eſt leur cœur. Il n’y ha rien qui plus ſe fache d’eſtre contreint, qu’une femme : & qui plus ſe contreingne, où elle ha enuie montrer ſon afeccion. Ie voy ſouuentefois une femme, laquelle n’a trouué la ſolitude & priſon d’enuiron ſept ans longue, eſtant auec la perſonne qu’elle aymoit. Et combien que nature ne lui uſt nié pluſieurs graces, qui ne la faiſoient indine de toute bonne compagnie, ſi eſt ce qu’elle ne vouloit plaire à autre qu’à celui qui la tenoit priſonniere. I’en ay connu une autre, laquelle abſente de ſon ami, n’alloit jamais dehors qu’acompagnee de quelcun des amis & domeſtiques de ſon bien aymé : voulant touſiours rendre témoignage de la foy qu’elle lui portoit. En ſomme quand cette afeccion eſt imprimee en un cœur genereus d’une Dame, elle y eſt ſi forte, qu’à peine ſe peut elle efacer. Mais le mal eſt, que le plus ſouuent elles rencontrent ſi mal : que plus ayment, & moins ſont aymees. Il y aura quelcun, qui ſera bien aiſe leur donner martel en teſte & fera ſemblant d’aymer ailleurs, & n’en tiendra conte. Alors les pourettes entrent en eſtranges fantaſies : ne peuuent ſi aiſément ſe defaire des hommes, comme les hommes des femmes, n’ayans la commodité de ſ’eſlongner & commencer autre parti, chaſſans Amour auec autre Amour. Elles blament tous les hommes pour un. Elleſ