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DE FOLIE ET D’AMOVR.


ſi Folie n’y tenoit la main. Encore ceus cy ne ſont que des mieus payez. Il y en ha qui rencontrent Dames cruelles, deſquelles iamais on n’obtient merci. Autres ſont ſi ruſees, qu’apres les auoir menez iuſques aupres du but, les laiſſent là. Que font ils, apres auoir longuement ſoupiré, ploré & crié, les uns ſe rendent Moynes : les autres abandonnent le païs : les autres ſe laiſſent mourir. Et penſeriez vous, que les amours des femmes ſoient de beaucoup plus ſages ? les plus froides ſe laiſſent bruler dedens le corps auant que de rien auouer. Et combien qu’elles vouſiſſent prier, ſi elles oſoient, elles ſe laiſſent adorer : & touſiours refuſent ce qu’elles voudroient bien que lon leur otaſt par force. Les autres n’atendent que l’ocaſion : & heureus qui la peut rencontrer : Il ne faut auoir creinte d’eſtre eſconduit. Les mieus nees ne ſe laiſſent veincre, que par le tems. Et ſe connoiſſant eſtre aymees, & endurant en fin le ſemblable mal qu’elles ont fait endurer à autrui, ayant fiance de celui auquel elles ſe deſcouurent, auouent leur foibleſſe, confeſſent le feu qui les brule : toutefois encore un peu de honte les retient, & ne ſe laiſſent aller, que vaincues, & conſumees a demi. Et auſſi quand elles ſont entrees une fois auant, elles font de beaus tours. Plus elles ont reſiſté à Amour, & plus ſ’en treuuent priſes. Elles ferment la porte à raiſon. Tout ce qu’elles creingnoient, ne le doutent plus. Elles laiſſent leurs ocupacions muliebres. Au lieu de filer, coudre, beſongner au point, leur eſtude eſt ſe bien parer, promener es Égliſes, feſtes, & banquets pour auoir