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DÉBAT


noit ſa folie, & lon s’en retire à tard. Ie croy que ne voudriez point reſſembler encore à cet Amoureus, qui n’en ha que le nom. Mais prenons le cas que lon lui rie, qu’il y ait quelque reciproque amitié, qu’il ſoit prié ſe trouuer en quelque lieu : il penſe incontinent qu’il ſoit fait, qu’il receura quelque bien, dont il eſt bien loin : une heure en dure cent : on demande plus de fois quelle heure il eſt : on fait ſemblant n’eſtre demandé : & quelque mine que lon face, on lit au viſage qu’il y ha quelque paſſion vehemente. Et quand on aura bien couru, on trouuera que ce n’eſt rien, & que c’eſtoit pour aller en compagnie ſe promener ſur l’eau, ou en quelque jardin : où auſſi tot un autre aura faueur parler à elle que lui, qui ha eſté conuié. Encore ha il occaſion de ſe contenter, à ſon auis. Car ſi elle n’uſt plaiſir de le voir, elle ne l’uſt demandé en ſa compagnie. Les plus grandes ; & hazardeuſes folies ſuiuent touſiours l’acroiſſement d’Amour. Celle qui ne penſoit qu’à ſe jouer au commencement, ſe trouue priſe. Elle ſe laiſſe viſiter à heure ſuſpecte. En quels dangers ? D’y aller accompagnée, ſeroit declarer tout. Y aller ſeul, eſt hazardeus. Je laiſſe les ordures & infeccions, dont quelque fois on eſt parfumé. Quelquefois ſe faut deſguiſer en portefaix, en cordelier, en femme : ſe faire porter dens un coffre à la merci d’un gros vilain, que ſ’il ſauoit ce qu’il porte, le lairroit tomber pour auoir ſondé ſon fol faix. Quelquefois ont eſté ſurpris, batuz, outragez, & ne ſ’en oſe lon vanter. Il ſe faut guinder par feneſtres, par ſus murailles, & touſiours en danger,