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DE FOLIE ET D’AMOVR.


Vlyſſe vid la fumee de ſon Itaque. Il vole de ioye : il embraſſe l’un, puis l’autre : chante vers : compoſe, fait s’amie la plus belle qui ſoit au monde combien que poſſible ſoit laide. Et ſi de fortune ſuruient quelque ialouſie, comme il auient le plus ſouuent, on ne rit, on ne chante plus : on deuient penſif & morne : on connoit ſes vices & fautes : on admire celui que l’on penſe eſtre aymé : on parangonne ſa beauté, grace, richeſſe, auec celui duquel on eſt ialous : puis ſoudein on le vient à deſpriſer : qu’il n’eſt poſſible, eſtant de ſi manuaiſe grâce, qu’il ſoit aymé : qu’il eſt impoſſible qu’il face tant ſon deuoir que nous, qui languiſſons, mourons, brulons d’Amour. On ſe pleint, on apelle s’amie cruelle, variable : lon ſe lamente de ſon malheur & deſtinee. Elle n’en fait que rire, on lui fait acroire qu’à tort il ſe pleint : on trouue mauuaiſes ſes querelles, qui ne viennent que d’un cœur ſoupſonneus & ialous : & qu’il eſt bien loin de ſon conte : & qu’autant lui eſt de l’un que de l’autre. Et lors je vous laiſſe penſer qui ha du meilleur. Lors il faut connoitre que lon ha failli par bien ſeruir, par maſques magnifiques, par deuiſes bien inuentees, feſtins, banquets. Si la commodité ſe trouue, faut ſe faire paroitre par deſſus celui dont on eſt ialous. Il faut ſe montrer liberal : faire preſent quelquefois de plus que l’on n’a : incontinent qu’on s’aperqoit que lon ſouhaite quelque choſe, l’enuoyer tout ſoudein, encores qu’on n’en ſoit requis : & jamais ne confeſſer que lon ſoit poure. Car c’eſt une treſmauuaiſe compagne d’Amour que Poureté : laquelle eſtant ſuruenue, on con-