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DE FOLIE ET D’AMOVR.


geſſe, & ſageſſe eſtre ſans paſſions : deſquelleſ Amour ne ſera non plus deſtitué, que la Mer d’ondes & vagues : vray eſt, qu’aucuns diſſimulent mieus leur paſſion : & s’ils s’en trouuent mal, c’eſt une autre eſpece de Folie. Mais ceus qui montrent leurs afeccions eſtans plus grandes que les ſecrets de leurs poitrines, nous rendront & exprimeront une ſi viue image de Folie, qu’Apelles ne la ſauroit mieus tirer au vif. Ie vous prie imaginer un ieune homme, n’ayant grand afaire, qu’à ſe faire aymer : pigné, miré, tiré, parfumé : ſe penſant valoir quelque choſe, ſortir de ſa maiſon le cerueau embrouillé de mile conſideracions amoureuſes : ayant diſcouru mile bons heurs, qui paſſeront bien loin des cotes : ſuiui de pages & laquais habillez de quelque liuree repreſentant quelque trauail, fermeté, & eſperance : & en cette ſorte viendra trouuer ſa Dame à l’Égliſe : autre plaiſir n’aura qu’à geter force œillades, & faire quelque reuerence en paſſant. Et que ſert ce ſeul regard ? Que ne va il en maſque pour plus librement parler ? Là ſe fait quelque habitude, mais auec ſi peu de demontrance du coté de la Dame, que rien moins. À la longue il vient quelque priuauté : mais il ne faut encore rien entreprendre, qu’il n’y ait plus de familiarité. Car lors on n’oſe refuſer d’ouir tous les propos des hommes, ſoient bons ou mauuais. On ne creint ce que lon ha acoutumé voir. On prent plaiſir à diſputer les demandes des pourſuiuans. Il leur ſemble que la place qui parlemente, eſt demi gaignee. Mais s’il auient, que, comme les femmes prennent vo-