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DE FOLIE ET D’AMOVR.


d’eſtre nommez fols, ceus qui les repreſentent, ayans pris, & prenans tant de peines à ſe faire ſembler autres qu’ils ne ſont ? Eſt il beſoin reciter les autres paſſetems, qu’a inuentez Folie pour garder les hommes de languir en oiſiueté ? N’a elle fait faire les ſomptueus Palais, Theatres & Amphitheatres de magnificence incroyable, pour laiſſer témoignage de quelle ſorte de folie chacun en ſon tems s’esbatoit ? N’a elle eſté inuentrice des Gladiateurs, Luiteurs, & Athletes ? N’a elle donné la hardieſſe & dexterité telle à l’homme, que d’oſer, & pouuoir combatre ſans armes un Lion, ſans autre neceſſité, que pour eſtre en la grace & faueur du peuple ? Tant y en ha qui aſſaillent les Taureaus, Sangliers, & autres beſtes, pour auoir l’honneur de paſſer les autres en folie : qui eſt un combat, qui dure non ſeulement entre ceus qui viuent de meſme tems, mais des ſucceſſeurs auec leurs predeceſſeurs. N’eſtoit ce un plaiſant combat d’Antoine auec Cleopatra, à qui dépendroit le plus en un feſtin ? Et tout celà ſeroit peu, ſi les hommes ne trouuans en ce monde plus fols qu’eus, ne dreſſoient querelle contre les morts. Ceſar ſe fachoit qu’il n’auoit encore commencé a troubler le monde en l’aage, qu’Alexandre le grand en auoit vaincu une grande partie. Combien Luculle & autres, ont ils laiſſé d’imitateurs, qui ont taché à les paſſer, ſoit à traiter les hommes en grand apareil, à amonceler les plaines, aplanir les montaignes, ſeicher les lacs, mettre ponts ſur les mers (comme Claude Empereur) faire Coloſſes de bronze & pierre, arcs trionfans, Pyramides ?