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DE FOLIE ET D’AMOVR.


Farſeurs, Parfumeurs, Brodeurs, & dix mile autres meſtiers ? Et pource qu’Amour ſ’eſt voulu munir, tant qu’il ha pù, de la faueur d’un chacun, pour faire trouuer mauuais que par moy ſeule il ait reçu quelque infortune, c’eſt bien raiſon, qu’apres auoir ouy toutes ſes vanteries, ie lui conte à la verité de mon fait. Le plaiſir qui prouient d’Amour, conſiſte quelquefois ou en une ſeule perſonne, ou bien pour le plus, en deus, qui ſont, l’amant & l’amie. Mais le plaiſir que Folie donne, n’a ſi petites bornes. D’un meſme paſſetems elle fera rire une grande compagnie. Autrefois elle fera rire un homme ſeul de quelque penſee, qui ſera venue donner à la trauerſe. Le plaiſir que donne Amour, eſt caché & ſecret : celui de Folie ſe communique à tout le monde. Il eſt ſi recreatif, que le ſeul nom eſgaie une perſonne. Qui verra un homme enfariné auec une boſſe derriere entrer en ſalle, ayant une contenance de fol, ne rira il incontinent ? Que l’on nomme quelque fol inſigne, vous verrez qu’à ce nom quelcun ſe reſjouira, & ne pourra tenir le rire. Tous autres actes de Folie ſont tels, que l’on ne peut en parler ſans ſentir au coeur quelque allegreſſe, qui deſfache un homme & le prouoque a rire. Au contraire, les choſes ſages & bien compoſees, nous tiennent premierement en admiracion : puis nous ſoulent & ennuient. Et ne nous feront tant de bien, quelques grandes que ſoient & cerimonieuſes, les aſſemblees des grans Signeurs & ſages, que fera quelque folatre compagnie de jeunes gens deliberez, & qui n’auront enſemble nul reſpect & conſideracion. Seulement icelle