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DE FOLIE ET D’AMOVR.


eſtoient ils ſages ? Ie croy qui regarderoit bien auant leurs opinions, que lon les trouueroit auſſi crues, comme leurs cerueaus eſtoient mal faits. Combien y ha il d’autres ſciences au monde, leſquelles ne ſont que pure reſuerie ? encore que ceus qui en font profeſſions, ſoient eſtimez grans perſonnages entre les hommes ? Ceus qui font des maiſons au Ciel, ces getteurs de points, faiſeurs de characteres, & autres ſemblables, ne doiuent ils eſtre mis en ce rang ? N’eſt à eſtimer cette fole curioſité de meſurer le Ciel, les Eſtoiles, les Mers, la Terre, conſumer ſon tems à conter, getter, aprendre mile petites queſtions, qui de ſoy ſont foles : mais neantmoins reſiouiſſent l’eſprit : le font aparoir grand & ſubtil autant que ſi c’eſtoit en quelque cas d’importance. Ie n’auroy jamais fait, ſi ie voulois raconter combien d’honneur & de reputacion tous les jours ſe donne à cette Dame, de laquelle vous dites tant de mal. Mais pour le dire en un mot : Mettez moy au monde un homme totalement ſage d’un coté, & un fol de l’autre : & prenez garde lequel ſera plus eſtimé. Monſieur le ſage atendra que lon le prie, & demeurera auec ſa ſageſſe tout ſeul, ſans que lon l’apelle à gouuerner les Viles, ſans que lon l’apelle en conſeil : il voudra eſcouter, aller poſément ou il ſera mandé : & on ha afaire de gens qui ſoient pronts & diligens, qui faillent plus tot que demeurer en chemin. Il aura tout loiſir d’aller planter des chous. Le fol ira tant & viendra, en donnera tant à tort & à trauers, qu’il rencontrera, enfin quelque cerueau pareil au ſien qui le pouſſera : & ſe