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DE FOLIE ET D’AMOVR.


qu’Amour ne ſeroit rien ſans elle : & ne peut eſtre, & regner ſans ſon ayde. Et pource qu’Amour ha commencé à montrer ſa grandeur par ſon ancienneté, ie feray le ſemblable : & vous prieray reduire en memoire comme incontinent que l’homme fut mis ſur terre, il commenga ſa vie par Folie : & depuis ſes ſucceſſeurs ont ſi bien continué, que iamais Dame n’ut tant bon credit au monde. Vray eſt qu’au commencement les hommes ne faiſoient point de hautes folies, auſſi n’auoient ils encores aucuns exemples deuant eus. Mais leur folie eſtoit à courir l’un apres l’autre : à monter ſus un arbre pour voir de plus loin : rouler en la vallee : à manger tout leur fruit en un coup : tellement que l’hiuer n’auoient que manger. Petit à petit ha cru Folie auec le tems. Les plus eſuentez d’entre eus, ou pour auoir reſcous des loups & autres beſtes ſauuages, les brebis de leurs voiſins & compagnons, ou pour auoir defendu quelqu’un d’eſtre outragé, ou pource qu’ils ſe ſentoient ou plus forts, ou plus beaus, ſe ſont fait couronner Rois de quelque feuillage de Cheſne. Et croiſſant l’ambicion, non des Rois, qui gardoient fort bien en ces tems les Moutons, Beufs, Truies & Aſneſſes, mais de quelques mauuais garnimens qui les ſuiuoient, leur viure a eſté ſéparé du commun. Il ha fallu que les viandes fuſſent plus delicates, l’habillement plus magnifique. Si les autres uſoient de laiton, ils ont cherché un metal plus precieus, qui eſt l’or. Où l’or eſtoit commun, ils l’ont enrichi de Perles, Rubis, Diamans, & de toutes ſortes de pierreries. Et, où eſt la plus grand’Folie, ſi le com-