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DE FOLIE ET D’AMOVR.


ne ſay que ſert d’alleguer la coutume toleree à Cupidon de tirer de ſon arc ou bon lui ſemble. Car quelle loy ha il plus de tirer à Folie, que Folie n’a de s’adreſſer à Amour ? Il ne lui ha fait mal : neantmoins il s’en eſt mis en ſon plein deuoir. Quel mal ha fait Folie, rengeant Amour, en ſorte qu’il ne peut plus nuire, ſi ce n’eſt d’auenture ? Que ſe treuue il en eus de capital ? y ha il quelque guet à pens, ports d’armes, congregacions illicites, ou autres choſes qui puiſsent tourner au deſordre de la Republique ? C’eſtoit Folie & un enfant, auquel ne failloit auoir egard. Ie ne ſay comment te prendre en cet endroit, Apolon. S’il eſt ſi ancien, il doit auoir apris à eſtre plus modeſte, qu’il n’eſt : & s’il eſt ieune, auſſi eſt Folie ieune, & fille de Ieuneſſe. À cette cauſe, celui qui eſt bleſſé, en doit demeurer là. Et dorenauant que perſonne ne ſe prenne à Folie. Car elle ha, quand bon lui ſemblera, dequoy venger ſes iniures : & n’eſt de ſi petit lieu, qu’elle doiue ſoufrir les ieuneſſes de Cupidon. Quant à la ſeconde iniure, que Folie lui a mis un bandeau, ceci eſt une pure calomnie. Car en lui bandant le deſſdu front, Folie iamais ne penſa lui agrandir ſon mal, ou lui oter le remede de guerir. Et quel meilleur témoignage, faut il, que de Cupidon meſme ? Il a trouué bon d’eſtre bandé : il ha connu qu’il auoit eſté agreſſeur, & que l’iniure prouenoit de lui : il ha reçu cette faueur de Folie. Mais il ne ſauoit pas qu’il fuſt de tel pouuoir. Et quand il uſt ſù, que lui euſt nuy de le prendre ? Il ne lui deuoit jamais eſtre oſté : par conſequent donq ne lui deuoient eſtre ſes yeus rendus.