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DE FOLIE ET D’AMOVR.


amans auront langui de l’amour de quelque belle : lors Folie fera iouir quelque auolé en moins d’une heure du bien ou l’autre n’aura pù ateindre. Ie laiſſe les noiſes & querelles, qu’elle dreſſera par tout, dont s’en enſuiura bleſſures, outrages, & meurtres. Et ay belle peur, qu’au lieu, ou Amour ha inuenté tant de sciences, & produit tant de bien, qu’elle n’ameine auec ſoy quelque grande oiſiueté acompagnee d’ignorance : qu’elle n’empeſche les jeunes gens de ſuiure les armes & de faire ſeruice à leur Prince : ou de vaquer à eſtudes honorables : qu’elle ne leur meſle leur amour de paroles deteſtables : chanſons trop vileines, iurongnerie & gourmandiſe : qu’elle ne leur ſuſcite mile maladies, & mette en infiniz dangers de leurs perſonnes. Car il n’y ha point de plus dangereuſe compagnie que de Folie. Voilà les maus, qui ſont à creindre, ſi Folie ſe trouue autour d’Amour. Et ſ’il auenoit que cette meſchante le vouluſt empeſcher ça haut, que Venus ne vouluſt plus rendre un dous aſpect auec nous autres, que Mercure ne vouluſt plus entretenir nos alliances, quelle confuſion y auroit il ? Mais i’ay promis ne parler que de ce qui ſe fait en terre. Or donq, Iupiter, qui t’apeles pere des hommes, qui leur es auteur de tout bien, leur donnes la pluie quand elle eſt requiſe, ſeiches l’humidité ſuperabondante : conſidere ces maus qui ſont preparez aus hommes, ſi Folie n’eſt ſeparee d’Amour. Laiſſe Amour ſe reſjouir en paix entre les hommes : qu’il ſoit loiſible à un chacun de conuerſer priuément & domeſtiquement les, perſonnes qu’il aymera, ſans que perſonne