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DE FOLIE ET D’AMOVR.


dire, pour le moins, qu’elle eſt bien aydee & entretenue par ſon moyen ? c’eſt qu’incontinent que les hommes commencent d’aymer, ils eſcriuent vers. Et ceus qui ont eſté excellens Poëtes, ou en ont tout rempli leurs liures, ou, quelque autre ſuget qu’ils ayent pris, n’ont oſé toutefois acheuer leur euure ſans en faire honorable mencion. Orphee, Muſee, Homere, Line, Alcee, Saphon, & autres Poëtes & Filozofes : comme Platon, & celui qui ha ù le nom de Sage, ha deſcrit ſes plus hautes concepcions en forme d’amourettes. Et pluſieurs autres eſcriueins voulans deſcrire autres inuencions, les ont cachees ſous ſemblables propos. C’eſt Cupidon qui ha gaigné ce point, qu’il faut que chacun chante ou ſes paſsions, ou celles d’autrui, ou couure ſes diſcours d’Amour, ſachant qu’il n’y ha rien qui le puiſse faire mieus eſtre reçu. Ouide a touſiours dit qu’il aymoit. Petrarque en ſon langage ha fait ſa ſeule afeccion aprocher à la gloire de celui, qui ha repreſenté toutes les paſsions, coutumes, façons, & natures de tous les hommes, qui eſt Homere. Qu’a jamais mieus chanté Virgile, que les amours de la Dame de Carthage ? Ce lieu ſeroit long, qui voudroit le traiter comme il meriteroit. Mais il me ſemble qu’il ne ſe peut nier, que l’Amour ne ſoit cauſe aus hommes de gloire, honneur, proufit, plaiſir : & tel, que ſans lui ne ſe peut commodément viure. Pource eſt il eſtimé entre les humains, l’honorans & aymans, comme celui qui leur ha procuré tout bien & plaiſir. Ce qui lui ha eſté bien aiſé, tant qu’il ha ù ſes yeus. Mais aujourd’hui, qu’il en eſt priué, ſi Folie ſe meſle