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DE FOLIE ET D’AMOVR.


d’ocaſion de croire l’eſtime & reputacion que lon ha d’elles. On ſe compoſe les yeus à douceur & pitié, on adoucit le front, on amollit le langage, encore que de ſon naturel l’Amant uſt le regard horrible, le front deſpité, & langage sot & rude : car il ha inceſſamment au cœur l’obiect de l’amour, qui lui cauſe un deſir d’estre dine d’en receuoir faueur, laquelle il ſcet bien ne pouuoir avoir ſans changer ſon naturel. Ainſi entre les hommes Amour cauſe une connoiſſance de ſoymeſme. Celui qui ne tache complaire à perſonne, quelque perfeccion qu’il ait, n’en ha non plus de plaiſir, que celui qui porte une fleur dedens ſa manche. Mais celui qui deſire plaire, inceſſamment penſe à ſon fait : mire & remire la choſe aymee : ſuit les vertus, qu’il voit lui eſtre agreables, & s’adonne aus complexions contraires à ſoymeſme, comme celui qui porte le bouquet en main, donne certein iugement de quelle fleur vient l’odeur & ſenteur qui plus lui eſt agreable. Apres que l’Amant ha compoſé ſon corps & complexion à contenter l’eſprit de l’aymee, il donne ordre que tout ce qu’elle verra ſur lui, ou lui donnera plaiſir, ou pour le moins elle n’y trouuera à ſe facher. De là ha ù ſource la plaiſante inuencion des habits nouveaus. Car on ne veut iamais venir à ennui & laſſeté, qui prouient de voir touſiours une meſme chose. L’homme ha touſiours meſme corps, meſme teſte, meſme bras, iambes & pieds : mais il les diverſifie de tant de ſortes, qu’il ſemble tous les jours eſtre renouuelé. Chemiſes parfumees de mile & mile ſortes d’ouurages : bonnet à la ſaiſon, pourpoint, chauſ-