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DÉBAT


humer. Que vous en ſemble il ? Si tous les hommes eſtoient de cette ſorte, y auroit il pas peu de plaiſir de viure auec eus ? Combien plus tot choiſiriez vous un homme propre, bien en point, & bien parlant, tel qu’il ne s’est pù faire ſans avoir envie de plaire à quelcun ? Qui ha inuenté un dous & gracieus langage entre les hommes ? & ou premierement ha il eſté employé ? ha ce eſté à perſuader de faire guerre au païs ? eſlire un Capiteine ? acuſer ou defendre quelcun ? Auant que les guerres ſe fiſſent, paix, alliances & conſideracions en publiq : auant qu’il fuſt besoin de Capiteines, auant les premiers iugemens que fites faire en Athenes, il y auoit quelque maniere plus douce et gracieuſe, que le commun : de laquelle uſerent Orphee, Amphion, & autres. Et ou en firent preuve les hommes, ſinon en Amour ? Par pitié on baille à manger à une creature, encore qu’elle n’en demande. On penſe à un malade, encore qu’il ne veuille guerir. Mais qu’une femme ou homme d’eſprit, prenne plaiſir à l’afeccion d’une personne, qui ne la peut deſcouvrir, lui donne ce qu’il ne peut demander, eſcoute un ruſtique & barbare langage : & tout tel qu’il eſt, ſentant plus ſon commandement, qu’amoureuſe priere, celà ne se peut imaginer. Celle, qui ſe ſent aymee, ha quelque autorite, ſur celui qui l’ayme : car elle voit en ſon pouuoir, ce que l’Amant pourſuit, comme eſtant quelque grand bien & fort deſirable. Cette autorité veut eſtre reueree en geſtes, faits, contenances, & paroles. Et de ce vient, que les Amans choiſiſſent les façons de faire, par leſquelles les personnes aymees auront plus