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DE FOLIE ET D’AMOVR.


thropes, & Taupes cachees ſous terre, & enſeueliz de leurs bizarries, leſquels auront de par moy tout loiſir de n’eſtre point aymez, puis qu’il ne leur chaut d’aymer. S’il m’eſtoit licite, ie les vous depeindrois, comme ie les voy decrire aus hommes de bon eſprit. Et neanmoins il vaut mieus en dire un mot, à fin de connoitre combien eſt mal plaisante & miſerable la vie de ceus, qui ſe ſont exemptez d’Amour. Ils dient que ce ſont gens mornes, ſans eſprit, qui n’ont grace aucune à parler, une voix rude, un aller penſif, un viſaige de mauuaiſe rencontre, un œil baiſsé, creintifs, auares, impitoyables, ignorans, & n’eſtimans perſonne : Loups garous. Quand ils entrent en leur maiſon, ils creingnent que quelcun les regarde. Incontinent qu’ils ſont entrez, barrent leur porte, ſerrent les feneſtres, mengent ſallement ſans compagnie, la maison mal en ordre : ſe couchent en chapon le morceau au bec. Et lors à beaus gros bonnets gras de deus doits d’eſpais, la camiſole atachee avec eſplingues enrouillees iuſques au deſſous du nombril, grandes chauſſes de laine venans à mycuiſſe, un oreiller bien chaufé & ſentant ſa greſſe fondue : le dormir acompagné de toux, & autres tels excremens dont ils rempliſſent les courtines. Vn leuer peſant, s’il n’y ha quelque argent à receuoir : vieilles chauſſes rapetaſſees : ſouliers de païſant : pourpoint de drap fourré : long ſaye mal ataché devant : la robbe qui pend par derriere iuſques aus eſpaules : plus de fourrures & peliſſes : calottes & larges bonnets couurans les cheueus mal pignez : gens plus fades à voir, qu’un potage ſans ſel à