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DE FOLIE ET D’AMOVR.


amiable, témoignent aſſez que plus ne pouuoient exaucer Amour, qu’en te faiſant participant de ſa nature. Tel eſt l’honneur que les plus ſauans & plus renommez des hommes donnent à Amour. Le commun populaire le priſe auſſi & eſtime pour les grandes experiences qu’il voit des commoditez, qui prouiennent de lui. Celui qui voit que l’homme (quelque vertueus qu’il ſoit) languit en ſa maiſon, ſans l’amiable compagnie d’une femme, qui fidelement lui diſpenſe ſon bien, lui augmente ſon plaiſir, ou le tient en bride doucement, de peur qu’il n’en prenne trop, pour ſa ſanté, lui ote les facheries, & quelquefois les empeſche de venir, l’appaiſe, l’adoucit, le traite ſain & malade, le fait auoir deus corps, quatre bras, deus ames, & plus parfait que les premiers hommes du banquet de Platon, ne confeſſera il que l’amour conjugale eſt dine de recommandacion ? & n’atribuera cette felicité au mariage, mais à l’amour qui l’entretient. Lequel, s’il defaut en cet endroit, vous verrez l’homme forcené, fuir & abandonner ſa maiſon. La femme au contraire ne rit iamais, quand elle n’eſt en amour auec ſon mari. Ilz ne ſont iamais en repos. Quand l’un veut repoſer, l’autre crie. Le bien ſe diſſipe, & vont toutes choſes au rebour. Et eſt preuue certeine, que la ſeule amitié fait avoir en mariage le contentement, que lon dit s’y trouuer. Qui ne dira bien de l’amour fraternelle, ayant veu Caſtor & Pollux, l’un mortel eſtre fait immortel à moitié du don de ſon frere ? Ce n’eſt pas eſtre frere, qui cauſe cet heur (car peu de freres ſont de telle sorte) mais l’amour grande qui eſtoit entre eus.