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DE FOLIE ET D’AMOVR.


Car ceus qui auoient inuenté quelque choſe à leur proufit, eſtoient eſtimez plus que les autres. Mais faut penſer que cette enuie de proufiter en publiq, n’eſt procedee de gloire, comme eſtant la gloire poſtérieure en tems. Quelle peine croyez vous, qu’a ù Orphee pour deſtourner les hommes barbares de leur acoutumee cruauté ? pour les faire aſſembler en compagnies politiques ? pour leur mettre en horreur le piller & robber l’autrui ? Eſtimez vous que ce fuſt pour gain ? duquel ne ſe parloit encores entre les hommes, qui n’auoient fouillé es entrailles de la terre ? La gloire comme i’ay dit, ne le pouuoit mouuoir. Car n’eſtans point encore de gens politiquement vertueus, il n’y pouuoit eſtre gloire, ny enuie de gloire. L’amour qu’il portoit en general aus hommes, le faiſoit trauailler à les conduire à meilleure vie. C’eſtoit la douceur de ſa Muſique, que lon dit auoir adouci les Loups, Tigres, Lions : attiré les arbres, & amolli les pierres : & quelle pierre ne s’amolliroit entendant le dous preſchement de celui qui amiablement la veut atendrir pour receuoir l’impreſſion de bien & honneur ? Combien eſtimez vous que Promethee ſoit loué là bas pour l’uſage du feu, qu’il inuenta ? Il le vous deſroba, & encourut votre indignacion. Eſtoit ce qu’il vous vouluſt ofenſer ? ie croy que non : mais l’amour, qu’il portoit à l’homme, que tu lui baillas, ô Iupiter, commiſſion de faire de terre, & l’aſſembler de toutes pieces ramaſſees des autres animaus. Cet amour que lon porte en general à ſon ſemblable, eſt en telle recommandacion entre les hommes, que le plus ſou-