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DE FOLIE ET D’AMOVR.


n’as ù puiſſance de donner ordre. Cette iniure touche auſſi en particulier tous les autres Dieus, Demidieus, Faunes, Satires, Silvains, Deeſſes, Nynfes, Hommes, & Femmes : & croy qu’il n’y ha Animant, qui ne ſente mal, voyant Cupidon bleſsé. Tu as donq oſé, ô detevtable, nous faire à tous deſpit, en outrageant ce que tu ſauois eſtre de tous aymé. Tu as ù le cœur ſi malin, de naurer celui qui apaiſe toutes noiſes & querelles. Tu as osé atenter au fils de Venus : & ce en la court de Iupiter : & as fait qu’il y ha ù ça haut moins de franchiſe, qu’il n’y ha la bas entre les hommes, es lieus qui nous ſont conſacrez. Par tes foudres, ô Iupiter, tu abas les arbres, ou quelque poure femmelette gardant les brebis, ou quelque meſchant garſonneau, qui aura moins dinement parlé de ton nom : & cette cy, qui, meſprisant ta mageſté, ha violé ton Palais, vit encores ! & ou ? au ciel : & eſt eſtimee immortelle, & retient nom de Deeſſe ! Les roues des Enfers ſoutiennent elles une ame plus deteſtable que cette cy ? Les montaignes de Sicile couurent elles de plus execrables perſonnes ? Et encores n’a elle honte de ſe preſenter deuant vos diuinitez : & lui ſemble (ſi ie l’oſe dire) que ſerez tous ſi fols, que de l’abſoudre. Ie n’ay neantmoins charge par Amour de requerir vengeance & punicion de Folie. Les gibets, potences, roues, couteaus, & foudres ne lui plaiſent, encor que fuſt contre ses malveillans, contre leſquels meſmes il ha ſi peu uſé de ſon ire, que, oté quelque ſubit courrous de la ieuneſſe qui le ſuit, il ne ſe trouua iamais un seul d’eus qui ait voulu l’outrager,