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DE FOLIE ET D’AMOVR.


amovr.

I’ay bien dit que ie fay aymer encore ceus, qui ne ſont point aymez : mais ſi eſt il en la puiſſance d’un chacun le plus souuent de ſe faire aymer. Mais peu ſe treuuent, qui facent en amour tel deuoir qu’il eſt requis.

ivpiter.

Quel deuoir ?

amovr.

La premiere choſe dont il faut s’enquerir, c’eſt, s’il y ha quelque Amour imprimee : & s’il n’y en ha, ou qu’elle ne ſoit encor enracinee, ou qu’elle ſoit deſia toute uſee, faut ſongneuſement chercher quel eſt le naturel de la perſonne aymee : &, connoiſſant le notre, auec les commoditez, façons, & qualitez eſtre ſemblables, en uſer : ſi non, le changer. Les Dames que tu as aymees, vouloient eſtre louees, entretenues par un long temps, priees, adorees : quell’Amour penſes tu qu’elles t’ayent porté, te voyant en foudre, en Satire, en diuerses ſortes d’Animaus, & conuerti en choſes inſenſibles ? La richeſſe te fera iouir des Dames qui sont auares : mais aymer non. Car cette affeccion de gaigner ce qui est au cœur d’une perſonne, chaſſe la vraye & entiere Amour : qui ne cherche ſon proufit, mais celui de la perſonne, qu’il ayme. Les autres eſpeces d’Animaus ne pouuoient te faire amiable. Il n’y ha animant courtois & gracieus que l’homme, lequel puiſſe ſe rendre ſuget aus complexions d’autrui, augmenter ſa beauté &