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ET LES ŒUVRES DE LOUISE LABÉ.


Pour nous, l’étude attentive de ce petit procès ne nous a pas mené à une troisième opinion, produit de la combinaison des deux témoignages contemporains. Nous les laissons subsister dans leurs affirmations sans réticence, et nous ne sommes nullement surpris de leur contradiction absolue. Ange de vertu, la Belle Cordière pouvait très bien — cela s’est vu d’autres fois — être représentée comme une femme de mauvaise vie par quelques hommes passionnés ou légers. Femme sans mœurs, Louise Labé pouvait n’avoir été aperçue que pendant ses heures de travail et ses jours de repos, par quelques hommes honnêtes et sérieux. Dans l’un comme dans l’autre cas, la critique ou l’éloge ne s’arrête jamais à mi-chemin, quand il s’agit d’une femme, et elle va tout droit jusqu’à en faire une Pénélope ou une Phryné.

Pour Louise Labé, plus que pour toute autre, il ne pouvait en être différemment. Elle s’est trouvée aux prises avec les préjugés étroits de son entourage et les tendances développées chez elle par une éducation trop large, peut-être même trop libérale. Ajoutons que, dépaysée parmi les siens, elle n’a pu s’introduire, comme l’eût fait un homme, dans le milieu supérieur qui lui convenait, et nous serons en droit de conclure qu’elle n’a été comprise ni du monde auquel elle appartenait, ni de celui auquel elle aurait dû appartenir. Alors, nous qui à trois siècles de distance, éclairés par l’histoire de son époque et celle du cœur humain, — le cœur humain de tout le monde et de toutes les