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DÉBAT


mets auec le vulgaire. Tu t’adreſſes contre Iupiter : mais il eſt ſi puiſſant, et grand, que ſi ie ne dreſſois ta main, ſi ie n’avois bien trempé ta fleſche, tu n’aurois aucun pouuoir ſur lui. Et quand toy ſeul ferois aymer, quelle ſeroit ta gloire ſi ie ne faiſois paroitre cet amour par mille inuencions ? Tu as fait aymer Iupiter : mais je l’ay fait tranſmuer en Cigne, en Taureau, en Or, en Aigle : en danger des plumaſſiers, des loups, des larrons, & des chasseurs. Qui fit prendre Mars au piege auec ta mere, ſinon moy, qui l’auois rendu ſi mal auiſé, que venir faire un povre mari cocu dedens ſon lit meſme ? Qu’uſt ce eſté, ſi Paris n’uſt fait autre choſe, qu’aymer Helene ? Il eſtoit à Troye, l’autre à Sparte : ils n’auoient garde d’eus aſſembler. Ne lui fis ie dreſſer une armee de mer, aller chez Menelas, faire la court à ſa femme, l’emmener par force, & puis defendre ſa querele iniuſte contre toute la Grece ? Qui uſt parlé des Amours de Dido, ſi elle n’uſt fait ſemblant d’aller à la chaſſe pour avoir la commodité de parler à Enee ſeule à ſeul, & lui montrer telle privauté, qu’il ne deuoit auoir honte de prendre ce que volontiers elle uſt donné, ſi à la fin n’uſt couronné ſon amour d’une miſerable mort ? On n’uſt non plus parlé d’elle, que de mile autres hoteſſes, qui font plaisir aus paſſans. Ie croy qu’aucune mencion ne ſeroit d’Artemiſe, ſi ie ne lui uſſe fait boire les cendres de ſon mari. Car qui uſt ſù ſi ſon affeccion uſt paſsé celle des autres femmes, qui ont aymé, & regretté leurs maris & leurs amis ? Les effets & iſſues des choſes les font louer ou meſpriſer. Si tu fais aymer,