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RECHERCHES SUR LA VIE


Au fond, l’histoire de cet Yvard, qui s’est fait recevoir citoyen de Genève sans doute pour se débarrasser de sa femme, nous importe fort peu, et l’opinion de ses témoins, dont nul débat contradictoire n’établit la justesse, ne nous intéresse qu’à demi. Cependant il faut retenir leurs dires, car ces gens représentent, au moins autant que Rubys et Paradin, ce qu’on appelle l’opinion publique, cette reine régnante et gouvernante, qui régit si mal le monde, mais à qui tout le monde obéit. Ils font partie de ce jury irresponsable et intéressé qui jamais ne se récuse, et dont le verdict ne se révise qu’après la mort du condamné. Ces gens forment une des sources auxquelles il faut remonter pour découvrir « les sornettes si très âpres » dont François de Billon recueillera le bruit deux ou trois ans plus tard. Et, au fait, que pouvait être, pour les témoins d’Yvard, la femme de Perrin ? Cette Belle Cordière était leur cousine et leur voisine. Elle avait été élevée à côté de leurs femmes, de leurs sœurs ou de leurs filles : dès lors, ils la regardaient, ils l’observaient, et ils la jugeaient en se servant, dans leurs jugements, des éléments d’appréciation dont ils disposaient. Elle n’avait pas tout à fait le même genre de vie que leurs femmes : donc elle avait tort. Elle était flattée, aimée, entourée par des hommes que leur position sociale mettait au-dessus d’eux et au-dessus d’elle : donc elle vivait mal. Elle avait toutes les séductions, elle était environnée de toutes les tentations : donc elle était coupable. Incapables de comprendre sa manière de vivre, incapables