Page:Labé - Œuvres, t. 1-2, éd. Boy, 1887.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
RECHERCHES SUR LA VIE


elle lui adresse ces caressants reproches sortis d’un cœur saignant de quelque blessure d’amour-propre :

Goûte le bien que tant d’hommes désirent :
Demeure au but où tant d’autres aspirent :
Et croy qu’ailleurs n’en auras une telle.
Je ne dy pas qu’elle ne soit plus belle :
Mais que jamais femme ne t’aymera,
Ne plus que moy d’honneur te portera.


Devons-nous le passage que terminent ces vers charmants à quelques paroles méchantes prononcées par un soupirant, sans espérance ? à quelque réflexion moqueuse ou brutale de la fille du boucher Taiilard ? à une pensée dont elle aura cru saisir la fugitive expression dans les yeux de l’homme qu’elle avait choisi ? ou seulement à la crainte que cette pensée pouvait traverser l’esprit de ce Phaon farouche et inflexible ? Elle a emporté son secret avec elle ; mais les vers tombés ce jour-là de ses lèvres, ces vers d’une passion si fière et si tendre, ont gardé la trace profonde du sentiment qui les avait fait naître.