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RECHERCHES SUR LA VIE


le séduire. L’homme à qui ce culte s’adressait passa, sans le recueillir, à côté de ce rare trésor : l’amour sincère d’une jolie femme, l’estime d’un esprit distingué et la reconnaissance d’une belle âme.

Fille d’un cordier, elle finit par se marier avec un cordier riche et bon enfant, qui la laissa écrire en vers et en prose, et recevoir dans sa maison les « sçavants hommes » que charmaient sa personne et son talent. Malheureusement, pour avoir le bonheur d’entendre la nouvelle Sapho, il fallait passer près de la corderie de son mari ; et un contemporain, parlant des argentines cordes de son luth, ne manque pas d’ajouter : « Non celles que son mari fait. » Là se trouve peut-être le secret de toute la vie de la Belle Cordière, et surtout l’explication des appréciations si contradictoires que nous en ont laissées les contemporains.

Ainsi ne l’ont pas compris, je le sais, les derniers biographes. Tous, ou à peu près tous, entourent leur héroïne de l’élite de la société lyonnaise : ils font de sa maison le centre artistique et littéraire de la région, et ils écrivent à côté de son nom l’histoire des lettres et des arts au milieu du xvie siècle. Quant au principal personnage lui-même, leurs efforts tendent uniquement à rechercher si le mari seul fut admis à contempler les admirables attraits décrits avec tant d’indiscrétion par un poète du temps, Olivier de Magny, et à savoir, en fin de compte, si le charmant écrivain mérite une délicate couronne de fleurs blanches ou tout simplement une ceinture dorée.