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Quant aux nègres, il est bien évident qu’on les laisserait de côté, mais la conduite à tenir à leur égard devrait faire l’objet d’une entente consignée dans le traité. Celui-ci, après avoir prévenu les dangers provenant de rivalités ou d’égoïsmes nationaux de la part des représentants de la race blanche, aurait à empêcher, autant que possible, que les chefs indigènes missent obstacle à l’application chez eux des principes auxquels les Européens auraient promis de se conformer. On pourrait probablement obtenu cela peu à peu par la douceur, c’est-à-dire par la persuasion et par l’exemple. De Brazza n’a-t-il pas réussi, par ce seul moyen, à faire renoncer les peuplades des bords de l’Ogôoué au monopole des transports fluviaux qu’ils s’attribuaient ?[1] Sur le Congo lui-même, ne voit-on pas déjà les sujets de Makoko, qui autrefois se montraient jaloux de se réserver un droit exclusif de navigation, ne plus s’en prévaloir depuis qu’ils ont arboré le pavillon français[2], et laisser notamment Stanley remonter le fleuve pour aller créer des établissements en amont ? Il y aurait là une belle campagne à entreprendre, dont les trophées ne coûteraient pas une goutte de sang, et qui servirait, plus que les batailles les plus mémorables, à propager la civilisation. Le soin de la conduire rentrerait très naturellement dans les attributions de la Commission internationale, laquelle aurait d’autant plus de prestige aux yeux des nègres, qu’elle leur parlerait au nom de tous les blancs réunis dans une commune pensée.

Malgré ma prédilection pour l’emploi des procédés pacifiques à l’égard des indigènes, je ne vais cependant pas jusqu’à vouloir désarmer les étrangers. Ce n’est pas me contredire, je pense, que d’accorder à ces derniers le droit de tenir les noirs en respect et de réprimer par la force les actes de piraterie, les attaques violentes ou autres crimes, dont ils auraient été les victimes[3]. Stanley, dès 1877, reconnaissait qu’il y avait là une nécessité impérieuse, et que, pour se développer, le commerce naissant aurait besoin d’une protection contre le brigandage. Mais l’illustre voyageur estimait qu’une seule puissance suffirait pour cela. C’eût été pour elle un bien lourd fardeau ; aussi, pour l’en dédommager, réclamait-il, en retour, la reconnaissance de sa domination sur de vastes territoires. « Pourquoi donc, écrivait-il, ne pas décider immédiatement qui régnera sur les rives du Livingstone[4] ? » Il ne faut pas

  1. Revue maritime, août 1883, p. 398.
  2. Revue maritime, août 1883, p. 408.
  3. Deloume, p. 58.
  4. Lettre du 5 sept. 1877, p. 217.